Le législateur contemporain porte une attention particulière à la répression des menaces et, plus largement, à la répression des comportements menaçants qui ont pour conséquence d’entraver le bon fonctionnement de la justice.
Il réprime ainsi les menaces et comportements d’intimidation visant :
– Un magistrat, un juré ou toute autre personne siégeant dans une formation juridictionnelle, un arbitre, un interprète, un expert ou l’avocat d’une partie [1] ;
– Un témoin, un interprète ou un expert [2] ;
– La victime d’un crime ou d’un délit [3].
Dans ces hypothèses, les menaces permettent de caractériser des infractions d’entrave à la saisine et/ou à l’exercice de la justice.
Plus précisément, s’agissant de la victime d’un crime ou d’un délit, l’article 434-5 du Code pénal dispose :
« Toute menace ou tout autre acte d’intimidation à l’égard de quiconque, commis en vue de déterminer la victime d’un crime ou d’un délit à ne pas porter plainte ou à se rétracter, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ».
Il convient d’évoquer les éléments constitutifs de l’infraction prévue à l’article 434-5 du Code pénal avant d’aborder sa répression.
Eléments constitutifs de l’infraction de menaces ou intimidations envers une victime
En pratique, l’infraction de menace ou acte d’intimidation visant à déterminer la victime d’un crime ou d’un délit à ne pas déposer plainte ou à se rétracter intervient à la suite de la commission d’une première infraction dont l’auteur – dans la majorité des cas – ou un tiers tente d’empêcher la dénonciation ou, si l’infraction a déjà été dénoncée, tente d’obtenir la rétractation de la dénonciation ou la modification des déclarations.
1.1. Elément matériel
Pour que l’infraction visée à l’article 434-5 du Code pénal soit constituée sur le plan matériel, deux conditions doivent être réunies :
– D’une part, il faut une menace ou un acte d’intimidation à l’égard de quiconque ;
– D’autre part, cette menace ou cet acte d’intimidation doit déterminer la victime d’un crime ou d’un délit à ne pas porter plainte ou à se rétracter.
a) Menace ou acte d’intimidation à l’égard de quiconque
L’infraction d’entrave à la saisine de la justice par menace ou acte d’intimidation à l’égard de la victime d’un crime ou d’un délit doit être distinguée des infractions de menaces au sens strict visées aux articles 222-17 (menaces sans ordre ni condition réitérées ou matérialisées), 222-18 (menaces avec ordre de remplir une condition) et R623-1 (menaces de violences légères) du Code pénal.
Tout d’abord, la caractérisation du délit prévu à l’article 434-5 du Code pénal suppose l’existence de menaces ou de tout autre acte d’intimidation visant à priver la victime de son libre-arbitre ou de son pouvoir de décision [4].
La menace peut être définie comme l’expression d’un projet nuisible, par atteinte aux personnes ou aux biens, souvent par la parole ;
L’acte d’intimidation est celui qui inspire la crainte d’un mal à la victime.
Toutes les formes de menaces sont visées, c’est-à-dire les menaces d’atteintes aux personnes mais également d’atteintes aux biens, par exemple menacer de s’en prendre à la maison de la victime et de tout brûler [5]. L’acte d’intimidation peut également consister dans le fait de s’en prendre aux biens de la victime, par exemple son véhicule, en mettant des coups de pied dans le rétroviseur et en arrachant la plaque d’immatriculation [6].
Il n’est pas exigé que les menaces ou les actes d’intimidation soient réitérés pour qu’ils soient punissables [7].
De plus, la Cour de Cassation estime que pour être établis, les menaces ou actes d’intimidation commis en vue de déterminer la victime d’un crime ou d’un délit à ne pas porter plainte ou à se rétracter doivent être adressés à cette dernière, ou dans des conditions telles que son auteur sait ou ne peut ignorer qu’ils parviendront à sa connaissance. Quoi qu’il en soit, en l’absence de tout contact entre la victime et le prévenu, des actes de nature à conduire la victime à ne pas déposer plainte ou à revenir sur ses dépositions doivent être caractérisés [8].
Ainsi, constituent des menaces ou actes d’intimidation permettant de caractériser le délit de l’article 434-5 du Code pénal :
– des menaces de violences ou de mort directement adressées à la victime, la conduisant à refuser de déposer plainte ou à se rétracter, par exemple les paroles « Je vais te défoncer la tête quand tu rentreras. Il vaut mieux que tu ailles chez ta mère » [9], « Je passe au tribunal le 30 octobre, si je rentre en prison, quand je sors, je te tue » [10] ou encore la menace de tuer la victime par étouffement [11] ou la menace de mort accompagnée du geste réitéré de passer son doigt sous la gorge en regardant fixement la victime [12] ;
– Le fait de menacer la victime de ne pas quitter son domicile tant qu’elle n’aura pas fait la promesse de ne pas déposer plainte [13] ;
– Des menaces réitérées accompagnées de propos repris dans la presse locale dans le but de contraindre des dirigeants d’une société à retirer leur plainte [14] ;
– L’envoi d’un tiers au domicile des parents de la victime pour demander à cette dernière de retirer sa plainte [15] ;
– Les annotations portées par le prévenu sur un article de presse adressé à sa fille, victime de viol par ce dernier, notamment les termes « je gagnerai » et « je suis en forme physique », « le combat continue », « le mensonge c’est comme le cancer », de nature à impressionner vivement la victime dans le cadre d’une requête en révision déposée par le prévenu [16] ;
– Les paroles « Tu croyais que j’allais ressortir, de toute façon on va passer en jugement, fais bien attention à ce que tu dis » accompagnées d’un regard haineux [17] ou encore les propos « Arrête de parler comme ça, pourquoi tu me fais ça, ma femme va s’occuper de toi, moi je suis un homme, je ne te lâcherai pas » tenus par un mis en cause lors d’une confrontation avec la victime [18] ;
– Les manœuvres d’une mère visant à dissuader sa fille de dénoncer son concubin, notamment en lui imposant un délai de réflexion, en évoquant de façon répétitive le risque de déménagement de la famille et en menaçant de se suicider [19] ;
– Des propos menaçants sciemment tenus sur les réseaux sociaux qui ne tendent nullement à participer à l’exercice de la justice et qui ont pour but de peser sur le témoignage de la victime et de tenter d’innocenter un proche, notamment « ne te planque pas trop ma petite car tu vois tu es venue t’en prendre à ma famille, sache que je vais te le faire manger, avec la justice c’est à mon tour de m’en prendre à ta famille […] », « on va bien s’occuper de toi », « attends sagement ton heure » [20]
– Le fait de menacer la victime et sa famille de poursuites pour dénonciation calomnieuse tout en réclamant des dommages et intérêts élevés et en inventant des faits dépourvus de toute réalité dans le but de déterminer la victime à retirer sa plainte [21].
Toutefois, ne sont pas constitutifs de menaces ou actes d’intimidation permettant de caractériser le délit de l’article 434-5 du Code pénal :
– Le simple fait de signifier à la victime la volonté d’user de voies de droit légalement admissibles [22] ;
– Des propos déplacés ou intempestifs ayant pour effet de poser un « cas de conscience » aux victimes tout en les laissant libres de leur choix, celles-ci n’ayant d’autre pression que celle de leur propre conscience [23] ou ayant pour but d’importuner la victime [24] ;
– Le fait de se trouver à proximité du domicile de la victime [25].
Ensuite, la menace ou l’acte d’intimidation doit être fait « à l’égard de quiconque ».
Cela signifie qu’il peut être dirigé contre la victime du crime ou du délit elle-même ou contre un tiers, par exemple un membre de sa famille ou un proche [26].
b) Acte déterminant la victime d’un crime ou d’un délit à ne pas porter plainte ou à se rétracter
Les menaces ou actes d’intimidation doivent avoir pour but de déterminer la victime d’un crime ou d’un délit à ne pas porter plainte ou à se rétracter.
Cela concerne tout d’abord l’agent qui, par ses agissements, conduit la victime à refuser de déposer plainte après avoir été entendue ou à ne pas dénoncer des faits dont elle est victime.
En outre, est expressément envisagé le cas où le coupable essaye, par ses agissements, de contraindre la victime à retirer la plainte qu’elle avait déjà déposée.
Est également visé le fait d’inciter la victime à revenir sur ses déclarations, à se rétracter, que ce soit dans le cadre d’une audition, d’une confrontation ou encore d’un témoignage devant une Cour d’assises.
1.2. Elément moral
Le délit est intentionnel.
L’élément moral est caractérisé par le fait que l’auteur de l’infraction agit dans le but de pousser la victime à ne pas porter plainte ou à se rétracter [27]. Son intention doit dépasser la simple menace et porter sur la volonté d’influencer le comportement de la victime du crime ou du délit.
Il doit être démontré l’intention spéciale de l’auteur d’impressionner la victime et de lui inspirer une crainte de nature à l’amener à retirer sa plainte ou à revenir sur ses déclarations. La Cour d’appel a par exemple jugé que le délit n’est pas constitué dès lors que l’agent menace la victime en lui disant « Tu m’as mis en prison, tu vas voir que cela ne va pas se passer comme cela », mais qu’il n’est pas établi sa volonté de faire pression sur elle dans le but de l’amener à retirer sa plainte ou à rétracter ses déclarations [28].
De même, les remarques et interpellations du prévenu consistant à poser des questions privées à la victime, à lui dire qu’il aimerait lui toucher la poitrine et à lui faire un geste obscène derrière une vitre sans tain ne permettent pas de caractériser l’infraction dans la mesure où les investigations n’ont pas démontré l’intention du prévenu de déterminer la victime à ne pas déposer plainte ou à se rétracter [29].
Quand il subsiste un doute quant à l’intention du prévenu, il doit être relaxé [30].
Répression du délit
En application des dispositions de l’article 434-5 du Code pénal, l’infraction est punie d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Les peines complémentaires de l’article 434-44 du Code pénal peuvent également être appliquées, à savoir :
– L’interdiction des droits civiques, civils et de famille suivant les modalités prévues par l’article 131-26 ;
– La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction, à l’exception des objets susceptibles de restitution.
Enfin, la tentative de l’infraction n’est pas punissable.